lundi 7 septembre 2009

L'homme qui valait 35 milliards



"Octavio a donné rendez-vous à Richard dans un café de Sclessin, pas loin de la Meuse, à l’ombre d’une rampe d’autoroute en béton noirci, conçue par un ingénieur dépressif, avec l’intention inconsciente de servir de décor trente ans plus tard, à des films sociaux projetés dans le monde entier. La rue est balayée en permanence par une poussière beige qui sent l’industrie lourde et les vies laminées, à tel point que les propriétaires du café semblent avoir abandonné depuis longtemps l’idée de laver les vitres de l’établissement. Les types au comptoir et aux tables ont l’air aussi vieux que tristes, prêts à rendre leur tablier sans remords dès le lendemain, le jour même s’il le faut, à capituler sans la moindre résistance. Pas une femme en vue, pas même derrière le comptoir, où un barman barbu, voûté comme les arches du pont de chemin de fer, remplit une grille de mots fléchés une étoile, devant une étagère de trophées de football argentés. Au mur, quelques photos anciennes affichent les sourires rayonnants de sportifs amateurs alignés devant l’objectif. L’herbe verte est devenue jaune, les maillots rouges ont pâli, ils sont désormais roses, et la banque qui sponsorisait l’équipe a changé plusieurs fois de nom depuis, presque aussi souvent que d’actionnaires. Il y a quelques semaines, elle a failli faire faillite, on l’a renflouée puis revendue. C’est elle qui cherchait un sponsor pour maintenir ses activités.

- Qu’est-ce qu’on boit ici ? demande Richard
- Oh, ici, à part la bière et le café, tu sais, il n'y a rien de bon à avaler

Un long silence s’étale, tandis que le barman tire deux bières de sa pompe fatiguée. Ses gestes sont ponctués par les faux applaudissements du public dans un jeu retransmis par l’écran de télé. Les vieux assis sur les tabourets du bar, arrimés à leur chope comme des péniches à quai, ne disent rien et Octavio n’est guère plus bavard."


Extrait du dernier roman du liégeois Nicolas Ancion, 'L'homme qui valait 35 milliards' ou comment 2 liégeois décident d'enlever le patron Arcelor Mittal.

Le post-it littéraire de Nicolas Ancion

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